le pavé du gorille
Antoine DominiqueDécembre, un hôtel particulier, un petit carré de ciel glacé dans Paris discret, rue Saint-Guillaume.
Le nez de Dom Castro, acteur dramatique, soi-disant noble castillan, né à Gien (Loiret), issu d’un père cultivateur et d’une mère encore moins connue, commença à frétiller.
Il attendait dans l'immense hall pavé d’un damier noir et blanc, tenant son chapeau à bord roulé sur son bas-ventre comme s’il voulait le protéger.
Au mur, une vieille chose un peu lamentable. Une tapisserie, peut-être un Embarquement pour Cythère.
Castro savait que cela valait de l’argent. Ces meubles Renaissance espagnole : de l’argent. Le domestique noir qui l’avait introduit dans ce hall : encore un signe d'argent...
Dom Castro fit un pas glissé vers la tapisserie. Il voulait la palper. I1 sursauta, la porte venait de s’ouvrir sur un coup de gueule :
— Otez vos péniches de là!
Il se tourna vers la voix. Elle sortait d’une bouche violente, énorme, crevant un visage gros comme le poing. Un homme de taille moyenne, sec. Un crâne chauve et pointu. Des yeux jaunis par un foie paresseux.
Dom Castro regarda douloureusement ses pieds, car le mot « péniches » l'avait blessé, puis il releva la tête.
La bouche irascible siffla :
— Qu'est-ce que vous foutez là?
— Ben, je suis l’acteur dramatique.
— Ah! c’est vous l’Espagnol à la noix?
Dom Castro se pencha et salua d’un rond de chapeau. Le vieil homme coléreux eut une moue.
— Ça se fait encore un salut comme ça? demanda-t-il.
Dom Castro sourit ineffablement.
— Je suis un homme de théâtre, monsieur.
— C’est bien vous qui montez la pièce de M. Beaucis et qui prenez les « relations de presse »?
...
Dom Castro baissa la tête :
— J'ai cet honneur, monsieur.